PIPO LIPPO
NOEL BLANC EN AFRIQUE NOIRE 


  Pipo Lippo est un jeune hippopotame qui se sent très malheureux parmi les siens. Il a le tort de ne pas s’en cacher et, visiblement, on le blâme de ne pas simuler le bonheur. Il ne parvient pas à masquer sa détresse ; de plus, mal à l’aise, ses congénères ont choisi d’éviter sa compagnie qu’ils jugent désagréable. Ils ne sont pas cool, préfèrent ignorer son désarroi ; de toute façon, ils ne comprendraient pas. Moqueurs, ils le raillent, manquant d’indulgence, de sollicitude ; intolérants, ils restent de marbre gris souris lorsque le « poupon joufflu » se plaint, pleurnichant. Et, telles des billes de rosée, ses larmes dessinent sur son visage ingrat de jolies rigoles argentées, imitant les rivières artificielles que l’on confectionne avec des bandes de papier alu avant d’en tracer les lits dans la crèche, juste avant Noël. Pourtant, il n’est pas plus obèse que les autres rejetons lambda de son clan, non. Honteusement égoïstes, ses parents prétendent ne pas avoir le temps de s’en occuper. Ils mentent, car leurs loisirs, ils les passent à chercher une bouffe superflue dans le fleuve, à frotter leur bedaine gonflée aux algues qui en tapissent le fond, remuant la vase. Comme en apesanteur, ils y évoluent avec une grâce surprenante pour leur taille colossale, insensibles à la surcharge pondérale qui les enrobe. Grâce à l’eau qui, paradoxalement, allège leur fardeau de graisse, ils se sentent pousser des ailes. Après, s’ébrouant, ils courent ventre à terre se vautrer dans la boue qui gagne du terrain sur la berge. Chez ces « bibendums crottés », on se lave en se salissant… se lave des parasites.

  Ici, pour tout le monde, ces drôles de pachydermes sont des rustauds, de gros patauds sans cervelle qui ne songent qu’à se remplir la panse en piétinant les mollusques et les plantes aquatiques ! Evoquant leur estomac, Rémy Fassol, le fameux poète des bestiaires, parle de montgolfière métamorphosée en estomac pour voyager à l’intérieur d’une anatomie conçue à son échelle. Un sorcier aura jeté un sort sur le ballon volant, tandis qu’il osait survoler la savane, y dessinant une ombre en forme de baleine. En un lieu où les nuages qui exhibent une apparence d’animaux marins sont accueillis avec des arcs et des sarbacanes, c’est un grave délit, un crime de lèse-majesté. Afin de réparer l’offense, elle aura été condamnée à se fixer à l’intérieur d’un mahousse terrestre. Le sculpteur de barbe à papa qui se permit cette fantaisie outrageante au-dessus des seigneurs de la jungle aura fini criblé de flèches aux pointes enduites de curare.

  Patauger dans la fange, c’est là une nécessité dont se fout royalement Léon, le lion sot. Etrangère à son mode de vie de tête couronnée, cette habitude digne d’un clochard est le fait de malandrins crasseux, pas d’un noble huppé dont le sang bleu qui coule dans ses veines en relève le rang. Mais il est si bêta que, lorsqu’on lui affirme que son nom lu à l’envers désigne une célèbre fête de l’espèce humaine, il répond qu’au contraire, les hommes, lui, il leur fait leur fête. Les autres animaux s’associent à son mépris souverain, fayotant, et certains pouffent mécaniquement, surtout les hyènes qui, en plus de leur rire de harpie, arborent toutes un museau de mégère indomptable. Mais, dans son dos où ondule une crinière de soleil, elles sont les premières, les fourbes, à préparer dans l’ombre un coup d’état, une mutinerie…

  A l’approche de ces « chevaux des rivières » qui nagent mieux qu’ils ne galopent, des poissons bizarres s’enfuient à tire de nageoire, émettant des bulles de reproche ; plus agressifs, des piranhas affichent leurs arguments frappants, ouvrant une gueule armée jusqu’aux dents, émettant des bulles de menace. Oui, pour sûr, ce sont de sacrées montagnes de viande à se mettre sous… la dent ! Mais c’est déjà mieux qu’une friture d’hippocampes ! Qui, de plus, ne s’aventurent jamais en eau douce, leurs naseaux sans cesse enrhumés filtrant mal.

  Lorsque ses parents rentrent de leur pique-nique sous-marin, Pipo en profite pour les harceler, réclamant pour la énième fois un petit frère ; on lui rétorque que ce n’est pas d’actualité. Mais que signifie être d’actualité ? De plus, on le lui dit en faisant les gros yeux ; il est donc légitime de subir ce sempiternel refus. Ce doit être une requête au-dessus de leurs forces. Il observe les familles voisines et voit bien qu’il y a plusieurs bébés ; alors pourquoi à lui, Pipo Lippo, on refuse toujours ce plaisir naturel ? Pourquoi n’y a-t-il pas droit ? Peut-être n’est-il pas assez sage, pas assez digne… aussi, mieux vaut-il se taire, s’abstenir d’insister, botter en touche. Malgré cela, tel un ogre chaussé pour franchir les frontières en une seule enjambée, Noël approche à pas de géant. Chez le continent voisin, de l’autre côté de la « Grande Flaque Bleue », c’est l’instant idéal des requêtes enfantines, des caprices autorisés… Hélas, en Afrique Noire, on méconnaît la grâce de ces confettis blancs dont l’Europe se couvre en hiver, corps de ballet dont chaque étoile semble vêtue de plumes d’ange. On méconnaît le bruit mouillé des sabots de rennes qui galopent dans la neige, quand le Père Noël fait sa tournée des grands et petits ducs… et qu’il en repart tout couvert de suie !

  Alors, lassé par tant d’incompréhension et de refus systématique, Pipo se met en tête de dénicher UN AMI, UN VRAI ! En quelque sorte, c’est son Graal, la quête du double parfait, d’un confident attentif, à l’écoute. L’image en 3D d’un clone, une photocopie en mouvement, un hologramme… Autant de termes bizarroïdes et froids qu’il traduit par trois lettres chaleureuses : A, M, I ! Il a un besoin urgent d’un comparse avec qui il pourra discuter de ses passions, de ses tourments, rigoler, bâiller, qu’il arrosera à vau-l’eau… Mais nul hippopotame coexistant ne peut remplir cet office. Il ne peut évidemment pas compter sur Mastar et Gropato, toujours en rut et coursant la gueuse dans les ajoncs. Récemment encore, les salopiauds se grattaient le postérieur au tronc d’un baobab, rivalisant de prouesses charmeuses afin d’attirer l’attention d’une pucelle merveilleusement enrobée. On lui a pourtant conseillé de ne pas se mélanger aux ados – ils ont, paraît-il, une préoccupation prioritaire qui les rend aveugles – mais, comme d’habitude, Pipo Lippo s’est trop fié à l’élan de son cœur !

  Et maintenant, le voilà de plus en plus triste ; sa boussole intime perdant le nord, il est totalement désorienté. L’oisiveté le gagne, et avec elle, l’envie de dormir 24 heures sur 24. Il dépérit à vue d’œil, maigrit, et la sveltesse est un gros défaut pour ses semblables, qui ne pensent qu’à s’empiffrer et à conquérir de nouveaux territoires marécageux pour y imprimer des empreintes sans cesse plus profondes. C’est un signe de dégénérescence physique et mentale, d’épidémie… d’allègement inadmissible ! A l’avenir, il faudra lui coller sur les épaules un sac à dos bourré de cailloux, tel un forçat, afin qu’il ne remonte pas à la surface s’il lui vient à l’esprit d’arpenter le lit glauque et mal bordé du fleuve. Normal pour quelqu’un qui a une montgolfière dans le bide, non ?

 

   Un jour, tandis qu’il s’éloigne en pleurant à chaudes larmes de la meute bedonnante qui se baigne en s’éclaboussant dans la rivière Gouroumba Goumba, il rencontre Mamboussi N’Noa, un vilain marabout au bec affreux et au cou pelé. De sa voix hautaine au timbre nasillard, il demande à Pipo de lui indiquer la source de tant de sanglots, et jusqu’où compte-t-il surfer ainsi sur son vague à l’âme. Il a un accent africain à… couper au couteau. Un soir, en espionnant des « braconniers-maroquiniers », Pipo Lippo a entendu cette expression dans la bouche de Dundee Lacoste, un impitoyable chasseur de crocodiles. Il s’est tout de suite imaginé que l’on tranche la gorge de tous les Africains qui causent trop. Il y en eut une autre, beaucoup plus sordide, qu’il interpréta en fonction de son état d’esprit : broyer du noir. Il a tenté de l’oublier, mais son auteur arborait sur son visage un bandeau qui masquait un trou béant. Il s’enfonçait dans une orbite telle une légion de termites forant dans un totem, et on ne pouvait raisonnablement pas effacer une pareille vision de sa mémoire. Un globe oculaire picoré par un vautour qui a cru l’homme mort alors qu’il n’était qu’assoupi, assommé par la quantité d’alcool ingurgité ? Ou bien, pendant que son propriétaire ne dormait que d’un œil, un serpent l’a-t-il confondu avec un œuf et gobé cette sphère d’apparence gélatineuse dont la pupille palpitait à la manière d’un fœtus…

  Pipo est si malheureux qu’il ne conçoit l’avenir qu’au travers d’un prisme déformant aux allures d’horoscope à ne lire qu’en diagonale afin d’éviter les nuits d’insomnie. Pourquoi cette mélancolie a-t-elle élu domicile dans la cage d’une poitrine qui abrite un nid si douillet et où battent les ailes d’un oiseau de feu si flamboyant ? C’est une bonne question que se pose le jeune hippopotame, mais à laquelle il ne trouve, hélas, aucune bonne réponse !

  Pipo Lippo raconte son histoire au grand oiseau maladroit dont les pattes évoquent des béquilles. Mamboussi N’Noa qui, comme dans un conte de fées, est un vilain marabout mais, en réalité, un gentil sorcier, est très touché par l’aura de détresse que dégage le juvénile gaillard au cuir gris souris. Il connaît la solution puisqu’il est là pour combler le manque des insatisfaits de la vie, amortir le déficit affectif des quidams de tous poils, écailles ou plumes. Il lui offre un miroir magique, lui expliquant qu’il suffit de lui parler en le fixant, et qu’à la place de son propre reflet, il y verra apparaître l‘AMI qu‘il recherche tant. Il en fut remercié d’atout cœur, et Pipo se retint de lui sauter au cou pour l’embrasser, se ravisant toutefois, de peur de plumer l’échassier déjà bien entamé par des pelades irrévérencieuses. Ce n’est pas l’instant rêvé pour abîmer son bon génie, n’est-ce pas ? « Ce n’est pas la conjoncture idéale pour casser de la vaisselle ! », aurait affirmé Emilien Bronto, le patriarche du troupeau, un sage parmi les sages. On ne fissure pas la lampe de l’espoir avant de bénéficier de ses avantages en nature… on la caresse ! Sept années de malheur sont si vite arrivées !

  Mamboussi N’Noa a parlé vrai, le miroir est réellement magique, et Pipo Lippo a enfin un véritable pote, un interlocuteur valable pour palabrer, papoter, à qui se confier… Quelqu’un à asperger sans recevoir de réprimandes en retour, uniquement des embruns ; quelqu’un dont la gueule, quand elle s’ouvre comme pour engloutir une dizaine de noix de coco, postillonne des torrents de tendresse. Dodelinant de la tête, les joues bouffies par la bouderie, les balourds pubères de la fine équipe en arrivent à l’envier, à souhaiter à leur tour rencontrer un partenaire de jeux de cet acabit. Il deviendrait sans doute un rival, peut-être un tricheur, un chenapan, mais cela flatterait leur ego de jeunes mâles. Et puis, plus il y a de fous, plus il y a de folles !

  Petit à petit, il a recouvré le sourire, la joie de survivre, et c’est communicatif ! Ses congénères, très agréablement surpris, recherchent sa compagnie et celle de son double, qu’il trimbale partout telle une ombre légère. Bientôt, Pipo Lippo n’a plus UN seul AMI, mais beaucoup, beaucoup, beaucoup… une horde de prétendants qui patientent à la queue leu leu à l’entrée de son cœur. Tous potes de son rang, tous frères de sang !

  « Entrez, entrez, braves gens, ce sont les soldes sentimentales et câlines ! Entrez, le magasin est ouvert et les artères sont fluides pour venir jusqu’ici garer votre âme sur ma poitrine ! »

  Même les hippopodames sont fascinées maintenant, surtout lorsqu’il frotte son popotin fessu aux cocotiers et qu’il en fait craquer l’écorce en s’esclaffant : « Voyez ces arbres que je plie comme des roseaux sous la caresse du zéphyr ! On dirait des saules qui pleurent pour vous faire sourire ! ».

 

  Par la suite, il désira remercier Mamboussi N’Noa pour cet inestimable cadeau car, pour sûr, il lui devait sa nouvelle vie ; cependant, jamais il ne le revit. Longtemps, le bruit courut qu’il avait été avalé tout cru par Grankro, le crocodile dentiste atteint de « paranoïa-masochiste » – il guérissait ses patients pour mieux les dévorer par la suite. Loyal envers le vieil adage visant tout particulièrement son métier, il mentait comme un arracheur de dents. Celui-ci était capable de s’extraire un croc qui le faisait souffrir en y attachant un rocher pesant deux cents kilos et en le jetant dans le fleuve du haut d’une falaise. Mais il a un énorme défaut, le bougre, autre que sa gourmandise : il diagnostique un remède identique aux bêtes dont la taille ne dépasse pas celle de son museau. Ainsi, un castor pourrait traiter une carie douloureuse en fixant à l’incisive sinistrée un caillou d’un poids plus de cinq fois supérieur au sien. Le plus dur, c’est d’appeler ses copains castors pour porter le « minéral salvateur » jusqu’au bord d’un précipice. Une fois, Grankro a soigné de la même façon Koudou, la girafe, et celle-ci est restée de longues heures sans pouvoir se redresser, une bajoue scotchée au sol, à deux pas de la grosse pierre qui était accrochée à sa molaire par une liane et à moitié ensevelie dans la terre meuble. Elle en a été délivrée par les pique-bœufs, qui usèrent de leurs becs effilés pour trancher la corde de fortune. Ces féaux travailleurs au noir purent dès lors lui ôter ses parasites pour le restant de leur existence sans être obligés de montrer leur carte de séjour à cette « demoiselle-Tour Eiffel » en peau de kilt. Elle avait fui juste avant l’arrivée du dentiste prédateur qui, en l’occurrence, avait vu grand côté menu !

  Pipo avait, durant de longs mois, sillonné le pays pour y dénicher Mamboussi N’Noa, utilisant l’hippopotam-tam pour alerter les sentinelles : sans résultat. Souvent, il s’était senti épié ; plusieurs fois, il avait croisé le regard furtif d’un drôle d’oiseau au plumage couleur de nuit ; une ombre semblait prendre subitement son envol lorsqu’il s’étonnait de cette obscure présence. Et pourtant, il n’était pas loin, son bienfaiteur… pas loin du tout, non. Il suffisait d’observer les contours de l’amitié en se privant du pouvoir de la vue, de laisser parler son intuition, son cœur. Pipo, trop occupé par l’aspect inesthétique du « génie au miroir », ne se préoccupait que des échassiers mal fagotés. Etant un sorcier capable de mimétisme justement parce qu’il était gentil, il avait depuis changé de morphologie. Il demeura aux abonnés absents et, tête basse, Pipo réintégra ses pénates où l’attendait sa grande famille !  

  Pipo Lippo, après avoir résisté à cet hippopodrame, devint le plus heureux des hippopotames… Il avait appris à s’aimer et à s’accepter tel qu’il se découvre en s’admirant dans le miroir, motivant l’allégresse chez ses pairs les moins gais qui, dorénavant, se gardent bien d’interpréter ses rares sautes d’humeur, séquelles d’un triste sort issu d’un passé fort heureusement révolu.

 

  Il faut que vous sachiez que Mamboussi N’Noa s’est métamorphosé en un bel oiseau de légende, et le reflet dont il se para dans le miroir après avoir contenté Pipo Lippo, exauçant son vœu le plus cher, devint celui d’un grand cygne noir aux plumes d’ébène, au bec noble, au cou altier… et à la voix suave. C’était une sorte de miroir gigogne et, quand on a le pouvoir de changer le monde, en offrir un permet d’en soutirer, bon tain, un second… et ainsi de suite. C’est un témoin que l’on se transmet à l’image des courses de relais : il doit circuler de par le monde, et celui qui en fera bénéficier les autres d’abord, en profitera pleinement ensuite. Au bout de la chaîne, l’altruisme paie toujours, et le maillon manquant sera forcément le suivant…

  Tout sorcier, qu’il soit beau ou laid, a lui aussi une bonne fée qui veille sur lui ! Et touchons du bois pour que le miroir ne se brise jamais…

 

?

 

(Des décennies, telles des guirlandes – ou des serpents –, se sont enroulées autour de la plus haute branche du temps…)

 

  Lorsque cette histoire parvint aux oreilles de Joseph Yann Démosthène Rémige, un célèbre écrivain spécialisé dans les romans pour la jeunesse, il la reporta immédiatement sur le papier, la transformant en conte de Noël. Tous les artistes ont le pouvoir de parler aux oiseaux, surtout ceux qui se servent avec talent de leur plume. Les lettres tapées sur le clavier d’ordinateur s’alignent sur l’écran pour former des mots qui ressemblent étrangement à des grappes de moineaux perchés sur des fils électriques. Le bruit des doigts pianotant rappelle celui des pattes d’un pigeon qui, l’hiver, se pose sur le rebord d’une fenêtre pour quémander quelques graines, des miettes de pain…

 

  Voici peu, JYD Rémige tira Arondinella, une jeune hirondelle printanière, des griffes acérées d’un chat vicelard et atteint de famine chronique. Après quoi, il la dorlota, la réchauffa dans ses mains, lui donna à manger et l’embrassa symboliquement sur le bec. Elle dut révéler sa véritable identité. C’était une princesse d’Ikhar, un pays lointain blotti au creux de l’imaginaire des adultes. Elle avait été ensorcelée par une reine tyrannique jalouse de sa grande beauté et de son don de transmettre sa pensée sans bouger les lèvres, uniquement par l’esprit et le regard. Elle fut bannie, condamnée à errer d’un pays à l’autre pour annoncer la saison chaude jusqu’à ce qu’un homme, un jour, se penche sur son cas, oubliant la messagère ailée pour sauver la femme maudite. Mais la malédiction était claire : il fallait que ce soit un écrivain, un manieur de plume. Elle n’avait pas le droit de retrouver son aspect d’origine mais avait le pouvoir et le devoir d’exaucer un vœu, un seul. Pour le récompenser et parce qu’il le lui avait demandé, elle lui apprit le langage des « volants » par télépathie, avant de lui narrer quelques sagas d’au-delà de la « Grand Flaque Bleue ». Conter lui était devenu indispensable et cela suffisait à son bonheur et à son espoir de survivance… Elle avait renoncé à son apparence depuis si longtemps que l’amnésie volontaire la délivrait de ce carcan temporel. Son sauveur pourrait transcrire la légende puis la faire publier dans son pays, la France, dans le but inavouable d’un essor futur : un survol littéraire des frontières européennes.

  JYD Rémige s’exécuta. Il raconta les déboires de Pipo Lippo dans un conte de fées qui, traduit en plusieurs langues, fit mieux qu’un simple tour continental : il prit son envol littéraire vers des cieux moins… occidentaux. Il se murmure dans les recoins des ministères de la culture des territoires visités qu’il était si touchant et si bien écrit qu’il fut colporté jusque dans les arbres. Les becs picorant le bois, la gent ailée se servait du langage morse pour véhiculer le récit de ce jeune hippopotame dont l’ombre pure et nouvelle naissait dans un miroir.

  C’est ainsi qu’un jour, le Père Noël, dont l’embonpoint évoquait l’animal pataud, intercepta le chant des oiseaux qui montait jusqu’à lui. Il fut interpellé par les soucis que Pipo Lippo, le « poupon joufflu », avait endurés : il opta pour un déplacement personnel en Afrique Noire.

  Parti en repérages en montgolfière, puisqu’il n’avait pas réussi à mater une grève de « rennes-fonctionnaires » qui paniquaient à l’idée d’affronter la canicule, il se résolut à y retourner tous les hivers. Il sèmerait dans le regard de ces gosses tout un florilège de lueurs inconnues que leurs yeux, aveuglés par la détresse, n’imaginaient même pas. Toutefois, il était très en colère, car la civilisation chrétienne avait été affreusement égoïste, omettant de le renseigner à ce sujet, et sa bedaine hippopotamesque se gonflait et se dégonflait au rythme de ses excès de tension.

 

  Plus tard, là-bas, on décida d’appeler le Père Noël… Mamboussi N’Noa. Il viendrait tous les ans, pour distribuer des cadeaux – mais surtout de la nourriture – aux enfants d’Afrique, qui sont forcément gentils et sages puisqu’ils ont faim et sont malheureux… Dès lors, chacun aurait droit à son miroir personnel ! On ferait construire des cheminées dans les cases ; après, on bâtirait d’authentiques maisons autour des âtres rutilants où, sous l’effet d’un feu d’artifice, les bûches ne crépiteraient que dans l’esprit des familles africaines réunies pour l’événement. Dans la savane, s’érigeraient de magnifiques totems à l’effigie d’un hippopotame bâillant aux corneilles, les bras écartés et perché sur une seule patte, telle une ballerine en tutu. On les peindrait en blanc, imitant la neige…

  Et peut-être que JYD Rémige, l’auteur de ce texte génial, à l’image de Mamboussi N’Noa métamorphosé en cygne noir, obtiendrait à l’occasion de la sortie de son prochain roman, La Fiancée aux Ailes d’Ebène, le… 

 

PRIX GONCOURT !

 

  Mais pour le mériter, sans doute devra-t-il libérer Arondinella, qu’il garde encore près de lui, dans une cage dorée, espérant sans doute qu’elle retrouve très prochainement son aspect d’origine…

 

 

 

 

FIN

 

NOEL
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